03 janvier, 2006

L'aventure commence à l'aurore de chaque matin

Je suis dans le salon Lufthansa de l’aéroport de Paris Charles-de-Gaulle terminal 1. Date à marquer d’une pierre blanche, ou plutôt une sorte de pierre « yin et yang » où le noir et le blanc s’interpénétreraient en harmonie comme tout symbole yin et yang, à l’exemple du cercle bleu et rouge au centre du drapeau coréen. Mon avion pour ma première expatriation était annoncé avec deux heures de retard, mais il est maintenant prêt à l’embarquement : yin/yang, chaud/froid, déception/espoir.Le titre de ce petit carnet de mon début d’expat est un vers tiré d’une chanson de Jacques Brel que j’ai dans la tête depuis une semaine… sans avoir réécouté cette chanson depuis longtemps.

On parle beaucoup de notre « aventure qui commence » avec Delphine et les enfants… et l’autre possibilité était de l’intituler « expat au pays du matin calme », donc l’association de l’aventure et du matin est venue naturellement avec cette chanson du grand Jacques. Là encore, yin/yang, chaud/froid, mon premier contact avec la Corée ne s’est pas effectué au détour d’un petit matin calme ! L’atterrissage à Séoul pour mon premier « business trip » le 13 septembre 2005 était sous le signe de la queue d’un typhon qui déversait des tonnes d’eau sur le tarmac, puis sur le taxi qui s’est retrouvé moteur noyé sur l’autoroute menant au centre-ville ! En réalité, ce petit typhon était une meilleure image pour mes trois premiers mois de travail entre Paris et Séoul que l’image du matin calme.

Retour en arrière : le surlendemain de mon retour de vacances d’été, la tête pleine des fabuleuses images et sensations glanées au Ladakh, et après une semaine de repos avec les enfants entre Dordogne et Oléron, voici donc qu’un « grand chef » de Nortel déjeune avec moi, et me propose de travailler sur les contrats UMTS de la nouvelle « Joint-Venture » entre Nortel et notre partenaire coréen LG Electronics. Il l’avait bien évoqué la veille de notre départ en vacances, mais avait immédiatement éludé la possibilité d’une expatriation, trop coûteuse pour Nortel, surtout pour envoyer une famille de 4 personnes dans un pays réputé « cher ». Trois semaines plus tard, l’expat revient sur le tapis, il a obtenu l’accord de la nouvelle JV pour avoir un expat pour s’occuper des produits vendus dans le cadre des deux contrats UMTS. « JV » devient soudainement un acronyme (en français, je crois que « sigle » est un mot plus exact qu’ « acronyme ») célèbre chez les Poggianti, prononcé à la française à la maison, et à l’anglaise au bureau.

Deux jours plus tard, mon « grand chef » s’étonne que je ne sois pas sur toutes les réunions téléphoniques, ni en copie de tous les e-mails en rapport avec mon nouveau boulot coréen. Foin de transition douce entre mon boulot précédent et ce nouveau ! Le maelstrom des prochains mois s’annonce déjà, et le tsunami (mot à la mode depuis le 26 décembre 2004 que les journalistes français ont préféré au raz-de-marée qui sonne moins catastrophique) d’e-mails venant de personnes inconnues aux noms exotiques débute bientôt. Heureusement que mon boss précédent est plutôt coulant, et que j’avais clos les derniers dossiers chauds de mon job précédent avant les vacances !

Entre typhon (queue de), maelstrom et tsunami, mon vocabulaire dépasserait-il ma pensée dès la première page ?

Côté expatriation, Delphine et moi n’en sommes pas à notre première discussion. Notre mot d’ordre durant les premières semaines : « ne pas se monter le bourrichon », notre expression favorite traduisant à la fois les nombreux faux départs de collègues malchanceux (avec anecdotes horribles, du genre maison vendue, épouse qui démissionne, puis expat annulée), les quelques faux espoirs placés dans des destinations attractives depuis mi-2003 que je travaille « sur l’Asie » et enfin les nombreux obstacles que nous ne manqueront pas de rencontrer même si Nortel semble décider cette fois à nous envoyer à Séoul. Donc, pour le moment, je fais, nous faisons comme si de rien n’était, comme si les premiers déplacements à Séoul ne sont que des « business trips » sans conséquences, orientés boulot-boulot et un peu de tourisme en ville le week-end si j’ai le temps.

Donc, deux premiers déplacements de deux semaines chacun suivent en septembre et en octobre. Séoul n’est pas une ville renommée pour ses multiples monuments incontournables, mais je trouve tout de même le premier week-end (nuageux-pluvieux encore, tous les Coréens et les guides de voyage s’accordant pour dire que septembre est habituellement magnifique) quelques temples bouddhistes à visiter. De retour du Ladakh, la comparaison est intéressante entre le bouddhisme tibétain dans le Ladakh est le berceau en Inde, et le bouddhisme zen omniprésent en Corée. Je n’entrerai pas dans les détails, car malgré les leçons de bouddhisme de notre excellent guide Buddhi (le bien nommé) au Ladakh, les noms des personnages ont changé en voyageant jusqu’en Corée. Même la roue de la vie n’est pas représentée ici sur chaque mur ! Néanmoins, l’atmosphère de ces deux temples (le plus vieux Jogye-sa dans le quartier d’Insadong, et Bongeun-sa en face de mon hôtel et du centre de congrès CoEx sur la rive gauche) est très agréable, très pieuse et reposante. Certains Coréens prient en s’agenouillant et en se relavant sans arrêt, exercice sans doute assez éprouvant après quinze minutes de prière, et qui me fait un peu penser aux circumambulations des Tibétains autour du mont Kailash (même si eux s’allongent de tout leur long sur le chemin).

Malgré tout, durant ce premier week-end, en essayant de garder le « bourrichon » assez bas, je ne peux m’empêcher d’essayer d’aller me balader dans le « quartier français » de Séoul, censément être sur la rive gauche de la Han donc du même côté que mon hôtel et que mon bureau, à quelques stations de métro. Justement, on me dit que c’est dans le quartier de Bangbae, donc je prends naturellement le métro jusqu’à la station « Bangbae », après avoir eu du mal à demander un ticket au préposé qui ne comprend le nom que lorsqu’il est prononcé « Panpé ». Bernique ! Chercher une baguette de pain et un saucisson à la station Bangbae s’avère infructueux. Je tombe bien sur des « villas » que Delphine m’a décrites comme des petits immeubles de quelques appartements qui sont censés pulluler dans les quartiers résidentiels chics, du type des quartiers pour expats, mais point de Français ni de « lycée Français » à l’horizon. Bêtement, je n’ai pas recopié le plan d’accès au lycée Français sur leur site Internet, donc je ne me rends compte qu’au retour à l’hôtel que le quartier de Bangbae est immense et que le quartier français est juché sur la colline entre les métros Naebang et Seocho. Tant mieux pour le bourrichon !Je termine ce premier week-end par un petit jogging le long de la rivière Han, large comme la Garonne à Bordeaux, qui coupe la ville en deux un peu comme à Paris, avec une rive droite où se trouve le centre-ville historique et administratif, et une rive gauche plus moderne et plus shopping-business. Mais Séoul est immense, au moins quatre fois plus étendue que Paris, donc beaucoup de quartiers différents semblent se mêler.(…)