18 août, 2007

DMZ, Zone Militarisée – Expats en Corée depuis 542 jours

DMZ, Zone Militarisée

Dans deux, dix, vingt, cinquante ans, on repensera aux deux ans vécus en Corée du Sud… dans un pays qui n’existera plus. Ce sera simplement la Corée ! Aussi improbable, éloignée, incongrue, que la réunification puisse sembler aujourd’hui, il est certain qu’elle aura lieu un jour, et il est probable que nous connaîtrons la Corée réunifiée avant de quitter ce bas monde. Au regard de leur longue histoire courant sur plus de cinq mille ans (d’après les légendes coréennes), ces cinquante ou cent ans de séparation paraîtront a posteriori comme un artefact presqu’insignifiant. Mais les Sud-Coréens d’aujourd’hui accueillent cet inéluctable changement avec un mélange de soulagement et de crainte. Soulagement de pouvoir aller un jour honorer la tombe de leurs ancêtres (un pont que je visite aujourd’hui, Imjingak, est le point le plus proche de la Corée du Nord où les Sud-Coréens ont le droit d’aller faire des offrandes à distance à leurs ancêtres reposant au nord, c’est très émouvant). Crainte d’affronter le maelström économique qui s’ensuivra, à l’image de l’Allemagne qui a mis quinze ans à retrouver son équilibre au prix de lourds impôts pour les ex-Allemands de l’Ouest. Crainte avérée, car les experts annoncent une réunification coréenne quatre fois plus difficile économiquement que celle de l’Allemagne (deux fois plus d’écart de niveau de vie, deux fois moins de différence de population, en comparaison avec les deux Allemagnes).

Cette hydre à deux têtes née de la guerre froide entre l’URSS et les USA et gardée vivante par la folie d’une dynastie de dictateurs nord-coréens, cette cicatrice boursouflée en plein milieu de la péninsule (d’abord au niveau du 38ème parallèle nord avant la guerre de Corée, aujourd’hui le long de la ligne de cessez-le-feu de 1953), il est important de s’y colleter pendant qu’elle existe. Dès lors, il devient important de visiter cette fameuse DMZ, De-Militarized Zone en anglais, zone démilitarisée en français, au cœur de laquelle se trouve l’endroit où se déroulent encore aujourd’hui les négociations à six pays avec le régime de Kim Jong-Il, la fameuse JSA – Joint Security Area, pour Aire de Sécurité Commune, Panmunjom en coréen.

La première de nos deux guides coréennes a raison : la DMZ n’est pas une « De-Militarized Zone », c’est une Zone Militarisée, hautement militarisée ; la blague est terriblement efficace et réaliste. De fait, on passera une bonne partie de la journée à se faire contrôler et transbahuter de car civil en car militaire et inversement. Géographiquement, c’est une bande terre de deux kilomètres de largeur de chaque côté de la ligne de cessez-le-feu, qui court sur 241 kilomètres d’ouest en est. Techniquement, les deux pays sont toujours en guerre, car le gouvernement sud-coréen n’était pas présent à la signature de l’accord de cessez-le-feu en 1953. Incroyable !

Les visites de la matinée sont assez tranquilles, c’est la DMZ ouverte à la visite des Sud-Coréens. On commence par Dorasan, dernière gare avant le nord, leur slogan marketing est qu’elle est en fait la première gare vers le nord. De là, à travers la Mandchourie, La Mongolie, La Russie, elle permettra de relier un jour Séoul et Busan à Paris, Londres ou Bruxelles par le train ! On continue par le troisième tunnel d’infiltration découvert par le Sud en 1978, alors que le Nord tentait de l’envahir en creusant à 73 mètres sous terre, dans le granit le plus dur, un boyau de moins de deux mètres de haut permettant de faire passer trente mille hommes en une heure ! Quand on se souvient que le bus a mis une heure pour rallier cet endroit sinistre depuis le centre de Séoul, on mesure la paranoïa qui a dû s’emparer des Sud-Coréens lors de la découverte de ce que préparait le Nord ! On descend en utilisant le tunnel d’interception que les Sud-Coréens ont creusé pour stopper l’avancée du Nord. Puis, on marche dans le boyau nord-coréen durant deux cents mètres (en restant bien sûr en Corée du Sud), et on est arrêté par trois énormes murs en béton, séparés les uns des autres par des champs de mines dissuasifs. Ambiance… On finit par le pont d’Imjingak mentionné plus haut, avec moult rubans et mouchoirs accrochés sous les barbelés comme autant d’hommages aux ancêtres enterrés au nord.

L’après-midi est plus sérieusement militarisé, à l’approche de la JSA-Panmunjom. Un sérieux « briefing » (en langage militaire) nous attend au camp intermédiaire, suivi d’une litanie de recommandations et interdictions diverses. Déjà, au moment de la réservation de cette journée, les obligations vestimentaires (pas trop court, pas trop cool, pas trop voyant, et j’en passe) frisaient le ridicule. Le plus étrange est qu’on aura malgré tout le droit de prendre des photos dans les endroits les plus sécurisés, donc les plus intéressants, mais seulement durant de courts instants répartis durant la visite. Dans la JSA, le plus impressionnant n’est pas la silhouette des bâtiments stalinistes ni celle des quelques soldats nord-coréens qui nous observent tranquillement à la jumelle, mais la position et l’attitude des soldats sud-coréens (qui font partie de la force déployée par les Nations-Unies). Ils sont stationnés à l’angle de chaque baraquement, un œil vers leurs collègues du nord, un œil caché derrière le bâtiment. Leur attitude est très martiale, poings serrés, muscles bandés, jambes écartées. Il s’agit semble-t-il d’une des positions d’attente au Taekwondo. Ajoutez des lunettes noires et un casque, et ça vous donne des soldats imposants et belliqueux. Nous avons même le droit de rentrer dans l’un des bâtiments de négociation qui sont les seules zones neutres, et de ce fait, nous faisons quelques pas « au Nord » en franchissant la ligne invisible qui coupe la table de réunion au milieu de la pièce. Quelques photos sont autorisées, mais pas de gestes en direction du Nord.

On nous narre certains des sérieux incidents survenus depuis trente ans dans la JSA, dont l’incident des arbres coupés au cours duquel des soldats ont été assassinés… Cela rappelle immanquablement l’excellent film sud-coréen « JSA » qu’il faut absolument voir (revoir, pour moi) pour avoir un autre angle de vue sur cette séparation idéologique et militaire de la Corée. Puis nous quittons la DMZ, cette zone hautement militarisée, et rentrons à Séoul. Un dernier pont de béton, chargé de dynamite, nous attend dans Séoul, le long de la Han ; il permettrait en cas d’invasion, de stopper ou de ralentir la progression des tanks sur cette autoroute qui mène au centre-ville. Paranoïa, quand tu nous tiens…

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