09 mars, 2006

Et l'angélus, bing, qui résonne - Expats en Corée depuis 15 jours !

Et l’angélus, bing, qui résonne

J’ai assisté avant-hier à une cérémonie funéraire coréenne. Je pourrais sans doute dire ma première cérémonie funéraire, car il semble que ce soit une habitude, voire une obligation, que d’y participer. Le cercle des participants est beaucoup plus large qu’en Europe : la famille bien sûr, mais également les collègues de travail, et même les relations de travail. C’est-à-dire, dans mon cas, assister à la cérémonie funéraire du père d’un de mes clients.

La chanson de Souchon dont est tirée le titre de mon chapitre évoque l’incompréhension entre les trois religions monothéistes ; ce qui m’a frappé ici, c’était l’œcuménisme de cette visite au décédé : peu importe la religion du défunt (les religions sont nombreuses en Corée, principalement chrétiens, bouddhistes, animistes, taoïstes, et certains membres d’une même famille peuvent appartenir à différentes confessions), cette visite est commune à toutes les religions. Cela tient beaucoup plus de l’acte social que de la démarche religieuse.
Donc, comment se passe-t-il ? Les appartements à Séoul étant en général beaucoup trop petit pour accueillir tous les visiteurs, nous nous retrouvons, deux collègues coréens et moi dans un bâtiment spécial d’un immense complexe hospitalier (à deux pas de notre appart’), bâtiment dédié à ces visites funéraires. Un de mes collègues a insisté pour que je vienne en personne, car je suis un des chefs, et que cela serait bien vu… que j’y sois vu. Acte social donc, soit, mais également importance (intérêt) que nous, le fournisseur, avons à nous montrer à la cérémonie funéraire du père d’un de nos clients. Total mix des sphères privées et professionnelles, une fois de plus (mais j’y reviendrai un autre jour dans les rapports alcoolisés avec les collègues).

Effectivement, deux indices confirment que mon collègue a vu juste : il attrape au passage une conversation entre clients qui sont impressionnés que l’Occidental que je suis ait effectué cette démarche si typiquement coréenne ; par ailleurs, si nous avions omis cette visite, un de nos concurrents aurait marqué un point, sa couronne de fleurs blanches est en effet bien en vue dans l’alignement des couronnes, avec le nom de leur société bien visible (en alphabet coréen, bien sûr).

Mais bon, comment se passe-t-il, a-t-on demandé ?
Une enfilade de salles donc dans ce bâtiment spécialisé (qu’on loue même si le défunt est décédé chez lui) ; au bout, la salle où une photo du défunt est posée sur un autel. En fonction de la religion (ici, catholique), un groupe de personnes de l’entourage (ici de la paroisse) chantent ou psalmodient pendant que la famille proche attend l’hommage des visiteurs. Les visiteurs, se prosternent complètement (front au sol) plusieurs fois devant la photo du défunt, après avoir posé une fleur blanche sur l’autel, puis encore une fois devant l’aîné de la famille. J’échappe aux prosternations en tant qu’étranger, mais je me recueille et je présente mes condoléances, bien sûr, au fils aîné aux yeux rougis. J’apprendrai plus tard que ces visites durent deux ou trois jours ! Si la famille proche est nombreuse, ils se relaient pour accueillir les éventuels visiteurs, mais dans son cas, sa mère est déjà morte, sa sœur vit à l’étranger, il est seul et doit rester dans cette salle, paraît-il sans relâche. Un oncle et un cousin l’épaulent.

Comme en France où tout finit par des chansons, en Corée tout finit par de la nourriture et de l’alcool, à toute heure du jour ou de la nuit. Donc, dans cette enfilade de salles de l’hôpital, s’intercalent les salles funéraires et les mini cafétérias, où se retrouvent les visiteurs après l’hommage au défunt et à sa famille. C’est évidemment ici que le social et le familial, le privé et le professionnel, le sincère et l’intéressé, s’entremêlent et se superposent. Point trop d’alcool tout de même, comparé à d’autres soirées entre collègues ou avec des clients. J’ai entendu dire que la joliesse de l’atmosphère de la cafétéria est en rapport avec la manière dont le défunt est parti : détendue s’il est mort dans son lit, plus sombre si sa mort était brutale.

Je partage cette dernière réflexion avec mes collègues, en leur expliquant qu’en trente-neuf ans je n’ai assisté qu’une fois à des funérailles en France : cette approche de la mort, plus fréquente, plus sociale, plus détachée (puisqu’on visite des défunts avec qui on a moins d’attaches qu’en Europe) doit certainement aider à apprivoiser sa propre mort, à réfléchir plus souvent à son propre destin. Que philosopher, c’est apprendre à mourir. Voilà une citation qui ferait plaisir à M. Pinon, mon prof de français de première.

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